top of page

ALAIA Souverain

D’années en années, de ses mains virtuoses, il a su saisir l’intemporel dans cette spirale fugitive qu’est la mode. A l’âge de 73 ans, Azzedine Alaïa n’a jamais été un designer, mais un couturier, précurseur, adulé, discret pourtant, s’effaçant au profit de ses créations qui parlent pour elles-mêmes. Jusqu’au 26 janvier, le Palais Galliera, récemment rénové, devient temple de la féminité pour rendre hommage à ce créateur hors du temps. 

 

L’expert comme le visiteur le moins averti ne peut qu’être intimidé par la richesse et l’excellence de la collection ; la scénographie simple, sombre mais efficace, ne s’encombre pas de superflu, et concentre l’attention sur l’essence-même d’Alaïa : non pas sa vie, pourtant chargée d’anecdotes, mais sa technique et son style singuliers. Les premières pièces font honneur au principe premier du créateur : magnifier les courbes de la femme. Le tomber exact des modèles rappelle la précision de la sculpture, son enseignement initial aux Beaux-Arts, dont il gardera l’empreinte dans toutes ses créations. De l’observation des silhouettes féminines, il tire des principes : « L’épaule est essentielle, la taille primordiale. La cambrure des reins et le derrière sont capitaux. La poitrine, on s’en arrange toujours. » De ces principes, découle une collection sans artifice, cohérente et harmonieuse malgré la diversité des époques : dans un magnifique jeu de contrastes en noirs et blancs, les étoffes des robes fourreaux subliment la sensualité des hanches ; les bustiers – presque corsets – magnifient les tailles et font honneur à la finesse des gorges, des cous et des nuques. 

 

Pourtant, Alaïa ne parviendrait pas à un tel degré de justesse dans les coupes et les tomber sans une connaissance parfaite de la matière : plus qu’un artiste, il est aussi un technicien, sachant manier les spécificités du textile selon ses volontés. S’il fait usage de l’organza, de la mousseline, pour confectionner des robes du soir classiques, il affectionne plus particulièrement le jersey de laine, d’acétate et de soie : une maille plate, extensible, utilisée dès le Moyen-Âge et remis au goût du jour par Chanel malgré son aspect sport et son utilisation de plus en plus démocratisée. Entre ses mains, cette fibre industrielle se fait précieuse ; elle enrobe le corps des épaules jusqu’au bas des jambes, en laissant à l’imagination de l’observateur juste ce qu’il faut de place pour fantasmer. Alaïa joue aussi avec les codes proches du fétichisme – ses détracteurs vont jusqu’à qualifier son style de sadomasochiste : cuirs, œillets, chaînes, fermetures éclair enlaçant le corps comme de fins serpents de métal qui, sur le papier, flirteraient avec le mauvais goût mais trouvent ici d’inattendues lettres de noblesse.

 

Par ailleurs, l’exposition ne suit pas d’ordre chronologique, mais mélange les collections tout en conservant leur cohérence : un parti pris qui rappelle la volonté d’Alaïa de rompre avec le calendrier imposé de la mode, obligeant les maisons de couture à proposer des collections régulières chaque saison. Bien qu’adulé par les chroniqueuses de mode dès la création de sa maison en 1979, il se veut insoumis aux diktats du temps qui passe et aux besoins de renouvellement des styles : il n’en reste pas moins un couturier intelligent, reconnaît le talent de ses prédécesseurs – Balenciaga, Vionnet avant tout – et s’inspire des créations passées pour façonner les siennes. Le spectateur sera ainsi marqué par quelques unes de ses pièces hétéroclites - une étonnante robe à volants et dentelle blanche, inspirée du XVIIème siècle en particulier – mais surtout par l’attirance inlassable d’Alaïa pour l’Afrique et son histoire. Il utilise avec précision les matières minérales, les motifs animaux, les peaux exotiques en touches, comme avec sa fascinante veste en crocodile mat, dont le revers laisse apparaître la chair du cuir. Sa robe de bandelettes stretch, dite « à claire-voie », s’inspire quant à elle de l’embaumement des momies égyptiennes ; elle embrasse, sculpte, libère les silhouettes. Créée en 1983, sa structure seconde peau détonne face au style large et unisexe de l’époque ; réutilisée en 1990 puis de nouveau en 2003, la robe à clare-voie s’affirme sans doute, par sa surprenante efficacité, comme la robe signature d’ Alaïa. 

 

Enfin, la collection trouve son unité malgré l’étonnante diversité des femmes qu’Alaïa a souhaité habiller : Arletty, Greta Garbo, Tina Turner, Linda Evangelista, Grace Jones, Farida Khelfa, autant de femmes aux personnalités remarquables qui ont chacune su inspirer le créateur. On sera ainsi marqué par l’ensemble court en laine blanche réalisée en hommage à la robe de ménestrelle d’Arletty dans les Visiteurs du Soir, déroutante de modernité - mais aussi par les robes de concert créées pour Tina Turner à la fin des années 80. Alaïa ne créé pas pour des clientes, mais pour des femmes avant tout : de fait, il refuse de travailler en studio, mais préfère l’atelier, dont l’intimité, auprès de ses muses, lui permet d’exprimer tout son savoir-faire : le dessin des patrons, mais aussi la coupe et la couture. Si l’on peut regretter l’absence de croquis du couturier, qui permettraient sûrement de mieux cerner les prémisses de certains vêtements, on sent malgré tout qu’Alaïa maîtrise comme peu d’autres chacune de ses réalisations : nul besoin de détails, d’artifices ou de parures, ses robes ont les mots justes et suffisants. C’est peut être pour cela que le journaliste Michel Cressole, en 1979, a dit de lui qu’il était « le dernier des grands couturiers » : le prince de la très Haute Couture, celle qui survole les styles, les âges et les saisons. 

Note & review on exhibition at Musée Galliera, 2014

''JE N'AI JAMAIS
SUIVI LA MODE,
CE SONT LES FEMMES QUI ONT DICTÉ MA CONDUITE'' 

Capture d’écran 2022-08-14 à 14.22.53.png

© AETERNI 2022

bottom of page